Ma rencontre avec Pierre Bourdieu, ou comment je suis devenue sociologue

Gisèle Sapiro über ihre Begegnung mit Bourdieu und ihren eigenen Weg zur Soziologie

Veröffentlicht am
6.4.22

Lars Henk

RPTU in Landau

Gisèle Sapiro

© Jérôme Panconi

Hinweis: Die von Lars Henk angefertigte Übersetzung des Textes finden Sie im Anschluss an das französische Original.

Ma rencontre avec Pierre Bourdieu, ou comment je suis devenue sociologue

Etudiante en philosophie et en théorie littéraire à l’Université de Tel-Aviv, j’étais à mille lieues de la sociologie quand mon professeur, Itamar Even-Zohar, m’a fait découvrir l’œuvre de Pierre Bourdieu. Ce fut une révélation. La théorie de l’habitus telle que formulée dans Le Sens pratique résonnait avec ma formation philosophique, mais aussi avec mon expérience migratoire, tandis que le concept de champ littéraire donnait consistance aux questions que je me posais sur la littérature, et que j’abordais alors avec les outils des formalistes russes, de la sémiotique de la culture, ainsi que de la théorie du polysystème forgée par Even-Zohar dans le sillage des formalistes.

Des deux courants, internaliste et externaliste, qui divisaient alors le département de « théorie générale de la littérature », c’est le second, plus scientifique, qui m’avait spontanément attirée. Il était incarné par la figure distinguée d’Even-Zohar, qui impressionnait les aspirants que nous étions par son détachement ironique et par sa culture encyclopédique sans rivages – il maîtrisait trente langues et nous promenait dans l’histoire universelle avec une aisance confondante, des Sagas islandaises à l’Italie du Risorgimento, glissant des expressions en russe, en arabe ou en araméen.

Etant française, je fus associée à l’entreprise collective de traduction en hébreu d’extraits choisis de l’œuvre de Bourdieu, que Even-Zohar introduisait alors en Israël, l’hybridant avec sa théorie du polysystème. Outre les révisions des chapitres consacrés au champ littéraire dans Questions de sociologie (livre dont j’assurerais l’édition scientifique et que je préfacerais beaucoup plus tard pour les éditions Resling), j’ai traduit à l’époque un court extrait de La Distinction, le chapitre 3 du Sens pratique, et « Le marché des biens symboliques », long article de 70 pages (cette traduction va paraître prochainement aux éditions Magnès, révisée par Amotz Giladi). Ces traductions ont fait partie du curriculum de la formation en théorie littéraire, avant la scission qui allait conduire à la création en 1995 – bien après mon départ –, à l’initiative d’Even-Zohar qui l’a dirigé jusqu’en 2007, d’un Institut de recherche sur la culture (The Unit of Culture Research), où la sociologie de Bourdieu serait, avec la théorie du polysystème, une des principales références.

Après avoir envisagé d’entreprendre une thèse de logique (j’avais pris en options la philosophie des sciences et du langage, ayant peu de goût pour la métaphysique), j’optais, sur le conseil d’Even-Zohar, pour un travail de recherche empirique, et le choisis pour diriger mon mémoire de Master of Arts. Even-Zohar m’obtint aussi un poste à mi-temps à la bibliothèque de l’Institut Porter, et j’assurais en parallèle les T.D. du cours de narratologie de Menakhem Perry, puis de celui d’histoire des idées politiques de Shlomo Sand, dont j’avais suivi, en dernière année du B.A., le cours d’histoire de la France du XXe siècle, et qui m’avait initiée à l’histoire des intellectuels. Cette formation historique contribua au choix du sujet de mon mémoire de master sur « La reconstruction de ‘l’image de soi’ de la France à la Libération » (1). L’étude, dont le cadre théorique était construit sur le concept d’« image de soi d’une culture » du sémioticien russe Iuri Lotman, se fondait sur un dépouillement de cinq hebdomadaires littéraires et politiques de septembre 1944 à l’année 1946, pour lequel je partis faire un séjour à Paris, ma ville natale, où je découvris la Bibliothèque nationale et les microfilms.

C’est au cours de ce séjour que je rencontrai pour le première fois Pierre Bourdieu, recommandée par Even-Zohar qui était son ami (je ne saurais dire mon émotion quand, récemment, je suis tombée sur leurs premières correspondances dans les archives de Bourdieu - j’en ai fait part avec Itamar qui ne le fut pas moins). Bourdieu me reçut avec beaucoup de gentillesse, et quand je lui parlais de ma recherche, il me dit (2): « il faudrait faire tout le champ intellectuel sous l’Occupation, avec cet allemand qui manipulait tout le monde » - comme par miracle j’entendis, fière et soulagée, le nom d’Otto Abetz surgir de mes lèvres, ne m’étant immergée que depuis quelques mois dans cette matière historique très éloignée de ma culture théorique et artistique (j’avais renoncé à m’engager dans une formation professionnelle de pianiste, et fréquentais les milieux littéraires de Tel-Aviv pendant mes études, traduisant de-ci de-là et collaborant à la revue Levant).

Alors que j’achevais mon mémoire, Itamar Even-Zohar me conseilla de poursuivre mes études doctorales à l’étranger, comme il était d’usage, dans ce petit pays périphérique, pour les trajectoires qu’on dirait aujourd’hui « d’excellence » (j’avais obtenu mon B.A. avec la mention Magna Cum Laude et mon M.A. avec Summa cum laude). Si la plupart des doctorantes partaient aux Etats-Unis à cette époque, je souhaitais pour ma part retourner en France, mon pays d’origine, que j’avais quitté en 1978, pour me ré-immerger dans ma langue « maternelle » (qui n’était pas la langue de ma mère - ni de mon père -, et que j’avais trop perdue).

Le choix de Bourdieu comme directeur de thèse n’allait pas de soi. Il impliquait un changement disciplinaire, et je ne connaissais rien à la sociologie à part son œuvre. Dans le système de la hiérarchie académique, c’était une discipline dominée, en Israël comme en France. Je n’avais suivi de cours de sociologie que dans le secondaire, au lycée Hougim de Haïfa, où elle était enseignée, mais était la risée des enfants de bonnes familles du Carmel que nous étions. Etait-ce dans cette discipline que je voulais faire ma thèse ? L’honnêteté m’oblige à avouer la principale raison qui emporta ma décision : je ne connaissais personne d’autre que Bourdieu dans l’université française ! Comme il m’avait tendu la perche, je rédigeai un projet de thèse sur la recomposition du champ intellectuel à la Libération, et le lui envoyai. Il accepta de diriger ma thèse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, en m’inscrivant d’abord en D.E.A. (Diplôme d’études approfondies), même si mon M.A. me donnait en principe un diplôme équivalent au D.E.A., afin de faciliter la reconversion disciplinaire. Il avait parfaitement raison, cette année fut très formatrice sur ce plan, et me permit aussi de me familiariser avec le système universitaire français – qui me ramenait un peu abruptement à la condition étudiante, alors qu’à Tel-Aviv, je faisais déjà partie en M.A. du corps enseignant - et de nouer des relations dont certaines continuent de m’accompagner.

Ayant achevé mon mémoire de master, je partis pour Paris à l’été 1990, pensant que je retournerais à Tel-Aviv au terme de mon doctorat. Je ne suis jamais revenue : quelques mois après avoir soutenu ma thèse de doctorat en décembre 1994, devant un jury dont Itamar Even-Zohar faisait partie, j’étais recrutée au CNRS et affectée au Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, fondé par Pierre Bourdieu. J’étais devenue sociologue. Cette conversion se fit progressivement. D’abord par la formation reçue en D.E.A., la socialisation parmi les jeunes aspirants sociologues, les cours de Bourdieu sur l’Etat au Collège de France, son séminaire à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Puis par la recherche et l’enseignement.

Sociologue de l’éducation, Bourdieu réfléchissait beaucoup sur les pratiques pédagogiques. Comment former des habitus professionnels en maintenant un équilibre entre routines de la recherche (nécessaire pour cumuler les acquis antérieurs et économiser les moyens) et inventivité ? Par une pratique intensive de formation à la recherche.

« La recherche, écrit Bourdieu dans Science de la science et réflexivité, est une pratique coutumière dont l’apprentissage se fait par l’exemple ». Il a lui-même formé plusieurs générations de chercheures à la sociologie. Il travaillait à leur transmettre des savoir-faire, des réflexes, un sens pratique, par un suivi individuel – la lecture des travaux et les entretiens qu’il consacrait à chacun malgré son emploi du temps serré – et par un travail collectif qui prenait plusieurs formes. Tout d’abord, celle de l’intégration des doctorantes dans le laboratoire, où iels étaient suivies par des chercheures confirmées de l’équipe comme Francine Muel-Dreyfus dans mon cas (j’y dialoguais aussi avec Victor Karady). Ensuite, celles de groupes de travail informels réunissant pendant une certaine période des apprenties chercheures, parfois en présence d’un ou deux aînées.

Enfin, si les cours du Collège étaient le lieu d’une élaboration théorique qui procédait par étapes, en discutant les travaux de références sur la question, le séminaire était le lieu où s’effectuait le travail collectif d’apprentissage de la pratique de la recherche, d’acquisition du modus operandi constitutif de l’habitus professionnel de sociologue. C’était un lieu de « la science se faisant ». Il a revêtu des formes diverses à différentes périodes. Je n’évoquerai que le séminaire du début des années 1990, auquel j’ai participé en tant qu’étudiante en D.E.A. puis doctorante sous sa direction, et qui est devenu le modèle de l’atelier doctoral que j’anime depuis 2005 avec mes propres doctorantes.

Le séminaire était alors fermé. Seuls y assistaient les doctorantes inscrites avec lui ou qu’il suivait, et les chercheures étrangères. Nous étions une quarantaine. La démarche était toujours inductive. Les doctorantes exposaient leurs recherches en cours, et Bourdieu les commentait. Il nous invitait, plutôt que de présenter un exposé académique bien ficelé, qui gommerait les failles de la recherche, à insister au contraire sur les obstacles, les difficultés, les questions ou incertitudes. L’apprentissage passait par la confrontation avec des objets très différents (les cadres, le féminisme, la musique, les métiers du conseil, le champ littéraire, le sport, etc.), mais qui pouvaient soulever des questions similaires (ou inverses) du point de vue du travail de construction d’objet et des difficultés méthodologiques. Des homologies structurales apparaissaient entre des objets apparemment différents. Des problématiques générales ou transversales surgissaient à partir de terrains très concrets : par exemple, les conditions d’émergence d’une profession ou d’un champ, la relation entre position et prises de position dans différents champs, la relation entre trajectoire et champ.

Bourdieu définissait son rôle comme celui d’un « entraîneur ». Plutôt que de s’interroger de manière casuistique sur les concepts ou les méthodes, il fallait les faire « travailler » sur des objets. Les concepts étaient des instruments pour questionner la réalité, pour déconstruire les objets préconstruits du monde social, leur ôter leur caractère d’évidence, les débanaliser. S’il appelait constamment à la vigilance épistémologique, il nous encourageait aussi à lever les obstacles constitués par le « surmoi » académique, par exemple l’idée qu’il faut avoir fini la phase de lectures pour commencer le terrain, ou encore les exigences méthodologiques insurmontables en terme d’échantillonnage, de codage, etc., contre lesquelles il rappelait l’arbitraire de toute méthode. Il nous incitait également à objectiver la connaissance accumulée par la familiarité avec l’objet et à laisser s’exprimer les intuitions liées à cette familiarité, souvent difficile à formaliser, par un travail réflexif constant : par exemple sur le savoir implicite qu’on met en œuvre dans des opérations de recherche comme la construction des catégories de codage pour un questionnaire.

Comme tout bon entraîneur, il connaissait bien la psychologie de ses apprentis. Une de ses techniques de formation consistait à pousser chacun dans le sens contraire à ses inclinations : aux quantitativistes, il prescrivait des études qualitatives et inversement ; aux théoriciens, il suggérait des objectifs empiriques très concrets, tandis que les positivistes étaient invités à construire des problématiques plus larges. Il était également attentif aux différences de sexe et aux divisions du travail de la recherche qu’elles pouvaient induire, notamment entre théorie et empirie. S’il soulignait toujours, en les opposant à l’arrogance théorique « masculine », les qualités dites « féminines » de prudence et de finesse, il aidait en même temps les filles à surmonter le sentiment d’illégitimité sociale que traduisait parfois, par un renversement défensif, ce qu’il qualifiait l’« hypertrophie théorique ».

Parallèlement à cette formation plus pratique que théorique (malgré les cours sur l’Etat, et surtout les lectures intensives que je faisais parallèlement à ma recherche), je complétais ma culture sociologique en enseignant les classiques de la sociologie – Durkheim, Marx, Weber – et les méthodes sociologiques à l’Université d’Evry Val d’Essonne de 1993 à 1995 (d’abord en tant que chargée du cours, puis sur un poste d’Attachée temporaire d’enseignement et de recherche - ATER), expérience qui fit de moi une sociologue à part entière, donnant tout son sens à ma conversion (j’y enseignerai aussi en 1995, après avoir soutenu ma thèse, un cours magistral sur le « Thèmes sociologiques », en remplacement d’une collègue en congé maternité). J’avais aimé enseigner la narratologie, et plus encore l’histoire des idées politiques (Rousseau, Marx, et même Tocqueville ne m’ont plus jamais quittée), mais la sociologie me touchait plus profondément, structurant ma pensée et ma pratique de chercheure. J’avais été fascinée par la lecture du Capital, mais la découverte de Durkheim et de Weber dans le texte fut décisive, et marqua d’autant plus ma façon de penser et de raisonner, que je les retrouvais dans l’œuvre de Bourdieu. La lecture des textes remettait en cause la fausse opposition entre ces deux penseurs, construite pour servir des intérêts académiques comme me l’apprendrait par la suite la méthode développée par Bourdieu dans son article programmatique sur la circulation internationale des idées (tiré d’une communication qu’il avait présentée en 1989 pour l’inauguration du Frankreich Zentrum de l’Université de Freiburg, dont le directeur, Joseph Jurt, allait m’inviter à partir de 2000 à y enseigner en binôme avec lui un cours sur « littérature et société », ce que je fis dix ans d’affilée (3)). Si enseigner ces auteures aux étudiantes de première année de sociologie à Evry relevait de la gageure, j’avais trouvé moyen de les actualiser en prenant appui sur des exemples actuels. Quand en 2005 j’ai mis en place mon séminaire de lecture d’épistémologie des sciences humaines et sociales à l’EHESS, sur le modèle d’un cours de sociologie des sciences qui m’avait fortement marquée dans ma formation, c’est tout naturellement que j’y ai inscrit Durkheim et Weber (mais aussi Simiand et Schütz), aux côtés de Bourdieu, Foucault, Lévi-Strauss, et des épistémologues (Bachelard, Quine, Hempel).

Ma formation m’inclinait vers la théorie – Bourdieu a parlé d’« habitus théorique » à ma soutenance -, mais les matériaux empiriques recueillis sur mon objet historique n’étaient pas toujours faciles à construire selon ce cadre théorique, j’étais submergée par les détails singularisant de l’histoire des intellectuels et les changements historiques brutaux mettaient à l’épreuve l’analyse structurale. Mon projet portait sur la Libération, mais dès notre première rencontre pendant le D.E.A., Bourdieu avait insisté pour que je travaille sur la période de l’Occupation, arguant, non sans raison, que je ne comprendrais rien à la Libération si je n’étudiais pas les quatre années qui l’avaient précédée, quitte à resserrer ensuite la focale sur la sortie de guerre. Je n’avais aucune envie de me plonger dans ce sombre épisode de l’histoire de France. J’allais y consacrer douze ans de ma vie (l’année de D.E.A., les trois années de thèse, les cinq années de reprise pour la publication d’un livre, La Guerre des écrivains, 1940-1953, en 1999, et les présentations que j’en ai faites ensuite en France et à l’étranger, sans compter le travail réalisé dans la foulée sur les procès de l’épuration, grâce à l’accès enfin obtenu aux archives).

Lors de cette rencontre, Bourdieu m’avait donné encore un conseil qui s’avéra déterminant : travailler sur l’Académie française et l’Académie Goncourt. J’avais entrepris d’étudier le Comité national des écrivains, principale instance de la Résistance littéraire qui a joué un rôle important dans la recomposition du champ littéraire à la Libération. Cette instance, dont j’avais découvert l’existence dans le livre d’Herbert Lottman La Rive gauche, m’intriguait. Interrogeant le mode de fonctionnement du champ littéraire en période de perte d’autonomie, la thèse était centrée sur trois institutions littéraires, l’Académie française, l’Académie Goncourt et le CNE (4). Outre l’approche institutionnelle, fondée sur des documents et témoignages, une analyse prosopographique des membres des trois institutions m’avait aidée à effectuer le travail d’objectivation et de mise à distance des enjeux encore brûlants de cette période, que j’allais compléter par la consultation d’archives (j’obtins in extremis quelques mois avant d’achever la thèse l’ouverture des archives du CNE grâce à une lettre de Bourdieu ; j’allais par la suite dépouiller les archives de l’Académie française et de l’Académie Goncourt). A la soutenance de mon D.E.A., Bourdieu m’avait dit, toujours selon la logique de tordre le bâton dans l’autre sens : « fini les institutions, ce ne sont que des listes de noms ! ». Pourtant, je n’ai pas abandonné cette approche, qui s’est révélée originale et qui m’a permis de saisir les logiques hétéronomes internes au champ littéraire et les modes de réfraction des enjeux politiques en son sein, ainsi que les clivages institutionnels. Pour le livre, je leur ai ajouté, en accord avec mon éditeur Olivier Bétourné qui m’avait incitée à élargir à l’ensemble du champ littéraire, La Nouvelle Revue française, qui incarnait avant la guerre le pôle symboliquement dominant du champ, mais qui s’était aussi scindée sous l’Occupation, devenant, sous la direction de Drieu La Rochelle, une vitrine « chic » de la Collaboration franco-allemand, raison pour laquelle elle ne reparut pas à la Libération. Et j’ai réalisé une analyse de correspondances multiples qui donnait à voir les clivages structurants du champ, corroborant ma thèse de la médiation que le champ littéraire exerçait sur les prises de position politique.

Bourdieu considérait la thèse comme une étape intermédiaire, avant la rédaction d’un ouvrage. Il avait insisté pour que je la soutienne à la fin de la troisième année. Je me rappelle qu’en septembre 1993, il a lu une centaine de pages sur son lit d’hôpital – il avait alors un incident cardiaque – et m’a appelée : « on y va », dit-il tout de go - « on y va où ? », me suis-je entendu répondre ; – « à la soutenance ». Son injonction me laissa d’abord interdite. N’ayant pas bénéficié d’une allocation de recherche (j’avais été classée 4e ex-aequo par la formation doctorale de sociologie), j’enseignais à l’époque six heures par semaine à Evry, et je travaillais à Courrier international où je suivais la presse israélienne et traduisais des articles de l’hébreu (j’avais aussi traduit, pendant l’année 1992, un roman de l’hébreu, Le Sourire de l’agneau de David Grossman). Je parvins néanmoins, portée par son encouragement et son énergie, à finaliser la thèse dans les deux mois qui suivirent, et la soutint en décembre 1994. Bien m’en prit. Je pus candidater à un poste de chargée de recherche au CNRS, en section 36 (Sociologie, normes et règles), et fus classée première au concours de l’année 1995. Bourdieu m’avait fait une lettre de soutien dithyrambique. Il avait reçu la médaille d’or du CNRS l’année précédente et avait demandé, dans son discours de réception (auquel j’ai assisté à son invitation), des postes pour les gens qui travaillent avec lui – il n’y en avait pas eu au CNRS depuis de nombreuses années, du fait de l’impitoyable concurrence entre écoles au sein de la discipline, et de l’hostilité toute particulière que suscitait sa sociologie parmi ses rivaux, renforcée par la jalousie face à sa renommée internationale en pleine expansion (c’était la raison pour laquelle il inscrivait très peu de doctorantes françaises, craignant, à juste titre, que leurs débouchés professionnels ne soient obstrués).

Dès le lendemain de ma soutenance, il m’avait « remise au travail », en m’enjoignant à réaliser l’analyse de correspondances multiples à partir de mes données prosopographiques. Elle allait être publiée dans le numéro d’Actes de la recherche en sciences sociales sur « littérature et politique » (1996). C’était mon deuxième article. Outre la préparation de ce numéro, je fus associée à la revue Liber. Je travaillais d’arrache-pied à l’écriture de mon livre, La Guerre des écrivains, 1940-1953, pour lequel j’avais signé un contrat chez Fayard car Bourdieu n’avait pas encore la collection « Liber » au Seuil. A l’été 1998, ayant enfin terminé, je le priai de relire le tapuscrit de plus de 3 millions de signes, ce qu’il fit de bonne grâce au mois de juillet, avant de partir en vacances, non sans me dire ensuite au téléphone : « c’est comme quand on demande à un cheval qui a déjà couru des kilomètres de courir encore ». Puis cet extraordinaire lecteur décréta : « il y a deux livres en un ». Je protestai que je ne pouvais pas revenir là-dessus, ayant trop travaillé les articulations entre chapitres, et il n’insista pas. Quand, au mois d’août, je relus une dernière fois l’ouvrage, je fus prise de panique et m’apprêtais à tout recomposer. C’est alors qu’au beau milieu du mois le plus calme et désert en France, le téléphone sonna : c’était Bourdieu qui, tout content, voulait savoir « comment ça avançait ». Au ton angoissé de ma voix, il voulut savoir ce qui n’allait pas : « Ce n’est pas un livre ! », m’exclamai-je. Réalisant l’état de détresse dans lequel je me trouvais, il m’intima avec fermeté de surtout ne toucher à rien. Au mois de septembre, je remis la chose à mon éditeur, Olivier Bétourné, qui après trois semaines me donna rendez-vous et me dit : « c’est très bien ! Il est juste un peu gros, il faudrait enlever 80 pages » (ce que je n’ai finalement pas fait). Au moment de signer mes exemplaires, j’ai appris par Olivier que Bourdieu avait voulu le « récupérer » pour sa collection qui avait été créée depuis peu. Il ne m’en avait rien dit, voulant sans doute m’éviter une situation de double bind.

Avant la sortie du livre, j’ai eu l’occasion de présenter certains aspects de cette recherche dans deux colloques en Allemagne, auxquels Pierre Bourdieu a participé : le Premier congrès de l’Association des franco-romanistes, « Faire signe - Zeichen setzen », dans la section « Pour une histoire sociale de la littérature », à l’Université de Mayence, les 23-26 septembre 1998 ; et « Empirical Investigation of Social Space », Zentralarchiv für Empirische Sozialforschung de l’Université de Cologne, les 7-9 octobre 1998. Dans ce dernier colloque, auquel était également conviés les mathématiciens Henri Rouannet et Brigitte Leroux, Frédéric Lebaron et moi-même présentions, l’usage que nous avions fait de l’analyses de correspondance multiples pour appréhender la structure d’un champ (économique dans son cas, littéraire dans le mien). Cette démarche était nouvelle, les participantes l’ayant surtout utilisée par reconstituer un espace social tel que La Distinction. Frédéric et moi fûmes attaqués par un méthodologue (qui avait, en fait, une méthode concurrente à proposer), en raison, dit-il, des faibles pourcentages de contribution des deux premiers axes (alors même que ces pourcentages dépendent mécaniquement du nombre de variables, qui étaient nombreuses). Cette attaque suscita la fureur de Bourdieu, qui dit littéralement (en anglais) : « vous vous rendez compte de ce que vous faites, vous tuez ces jeunes chercheurs ». Sa colère était sans bornes, lui si bienveillant et protecteur avec les jeunes, quand des aînés abusaient de leur autorité pour couper les pattes à leurs cadets…

Lorsque j’obtins la médaille de bronze du CNRS en 2000, en grande partie pour mon livre, c’est tout naturellement que je demandai à Bourdieu d’être mon parrain. Le début de son discours sur la notion de « parrainage » mérite d’être cité amplement, pour ce qu’il dit de sa conception de la direction de thèse :

« On peut se réjouir qu’une institution comme le CNRS ait renoué avec une pratique aussi vénérable que celle du parrainage. Cette tradition, qui a beaucoup été étudiée par les ethnologues et les historiens, vise à créer des liens de PARENTE SPIRITUELLE, liens artificiels et dérisoires, mais assimilables à des liens de parenté, entre des personnes qui ne sont pas liées par ce qu’on appelle parfois des ‘liens de sang’, des relations de parenté généalogiques. Les Allemands se situent dans cette logique lorsqu’ils parlent de DOKTORVATER pour désigner le directeur de thèse. Cette idée de parenté spirituelle convient bien, selon moi, pour désigner ces relations sublimées (il faudrait ici évoquer Freud et en particulier la logique du transfert) qui s’instaurent parfois entre les maîtres et les élèves ou les disiciples. Il y a de part et d’autres des SENTIMENTS D’AFFECTION, très profonds, très personnels, qui, absents d’ordinaire de la sphère bureaucratique, sont en ce cas socialement encouragés et contrôlés. Je pense, pour donner un exemple, à la relation qu’un certain nombre de philosophes de ma génération ont entretenue avec Georges Canguilhem.

Cette relation n’est pas, comme on pourrait le croire, à sens unique et le parrain ou la marraine et le filleul ou la filleule sont alternativement ou simultanément protecteur et protégé. Comme on le voit bien dans le cas où le parrain et la marraine sont aussi des parents généalogiques, grand père ou grand-mère par exemple, comme c’était souvent le cas dans la tradition européenne, le parrain ou la marraine protègent le filleul, mais ils pourront à leur tour être protégés par lui. »

A cette époque, sollicitée par le Groupe des études sartriennes, je devais faire une intervention sur « Sartre et Bourdieu ». Dans cette perspective, je réalisai deux entretiens avec lui, les 7 et 14 juin 2000. Il me déconseilla cependant – dans mon intérêt - de travailler sur lui. Je lui rétorquai que c’était pour moi une manière de venir vers la période contemporaine, et cela parut le convaincre. Le colloque se tient le 24 juin, et ma communication, qui abordait la genèse de la théorie de l’habitus, raviva les divergences et les ressentiments des sartriens à l’égard du sociologue. J’en tirai néanmoins un article à la demande de Geneviève Idt, que je fis relire à Bourdieu avant parution. Il le trouva très bien, mais il manquait, me dit-il, la réponse à la question posée : « Pourquoi le monde va-t-il de soi ? ». Toujours cet incroyable lecteur. Je repris ma conclusion et l’article parut dans les Cahiers RITM en 2001.

Préparant à l’époque son dernier cours au Collège de France sur la science, il m’avait proposé de coordonner des entretiens entre Jacques Bouveresse et lui sur ce thème, et c’est un de mes grands regrets de n’avoir pas eu l’occasion de matérialiser ce projet. Je lui parlai alors de mon projet sur le concept désintéressement et il s’exclama, enthousiaste : « ah, c’est magnifique et, je ne sais comment dire, ça vous va bien ». Il pensait que j’allais le finaliser l’été suivant, mais je travaille encore dessus vingt ans après… J’avais aussi engagé des recherches sur la traduction en coopération avec l’Université de Tel-Aviv, et il devait participer à la journée d’études que j’avais organisée à l’EHESS sur ce sujet avec Johan Heilbron, et qui allait donner lieu à un numéro d’Actes de la recherche en sciences sociales en septembre 2002. Il m’appela la veille : « Je suis rentré spécialement de vacances pour cette journée, et je suis terrassé par un lumbago. Transmettez surtout bien mes regrets à Zohar Shavit et Gideon Toury [les deux collègues de l’Université de Tel-Aviv que nous avions invités à cette journée] ».

Je ne l’ai revu ensuite que de loin, lors d’une réunion du laboratoire, où il paraissait mal en point et sombre. Il fut hospitalisé peu après. Le « lumbago » s’était révélé être un cancer qui l’emporterait trois mois plus tard. Je n’en ai rien su. Le 23 janvier au soir, un coup de fil du directeur du laboratoire m’apprit la terrible nouvelle : « Bourdieu est mort ». J’étais en plein milieu d’un colloque à la Sorbonne. On me demanda de prononcer quelques mots d’hommage à l’ouverture. Il disparaissait l’année même de son départ à la retraite, sans que nous n’ayons pu lui dire merci. Je pris l’initiative d’organiser l’hommage du Centre dans un colloque international qui se tint en janvier à l’Université Paris VII, sur un thème qui lui était cher, « Sciences sociales et réflexivité », et qui donna lieu à deux ouvrages collectifs qu’Olivier Bétourné publia chez Fayard en 2004 : Pierre Bourdieu, sociologue et Pour une histoire des sciences sociales.

Ce colloque recomposa la grande famille éparse dans le monde, et le réseau fut réactivé et élargi à de nouvelles générations à l’occasion des projets européens ESSE (Pour une espace des sciences sociales européennes) puis Interco-SSH (International Cooperation in the Social Sciences and the Humanities). Nous étions orphelins, mais héritiers d’un programme de recherche que nous allions poursuivre au CSE ainsi que dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales (qu’il avait fondée en 1975), et que nous allions transmettre aux jeunes générations, formant « l’intellectuel collectif » qu’il appelait de ses vœux, et dont le Dictionnaire international Bourdieu, paru en 2020 chez CNRS Editions, est une des incarnations.

Annotations

(1)  J’en a tiré un long article dans le Festschrift en l’honneur d’Even-Zohar : Gisèle Sapiro, « Recadrer la mémoire collective : l’exemple de la France à la libération. Rakeffet Sheffy et Gideon Toury ed., Culture Contacts and the making of Culture. Papers in homage to Itamar Even-Zohar, Tel-Aviv, Tel Aviv University: Unit of Culture Research, 2011, p. 147-217. https://paperzz.com/doc/6770426/culture-contacts-and-the-making-of-cultures

(2)  Toutes les citations des conversations sont de mémoire, et ne s’appuient pas sur des notes. Elles sont donc peut-être tronquées, et je ne mets de guillemets que pour signaler que c’est à peu près ainsi qu’elles résonnent dans ma mémoire.

(3) Cet enseignement qui m’a permis de renouer avec ma discipline d’origine me fit découvrir un troisième système académique, et j’avais plaisir à retrouver tous les ans, à Freiburg am Brisgau, outre mon ami Joseph, les étudiantes allemandes, qui étaient plus participatifs que leurs camarades françaises, malgré leur timidité respectueuse.

(4) Le titre de la thèse est : Complicités et anathèmes en temps de crise : modes de survie du champ littéraire et de ses institutions, 1940-1953. Académie française, Académie Goncourt, Comité national des écrivains, Paris, EHESS, 1994.

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Meine Begegnung mit Pierre Bourdieu – oder wie ich Soziologin wurde

Als Studentin der Philosophie und Literaturtheorie an der Universität Tel Aviv war ich von der Soziologie meilenweit entfernt, als mein Professor, Itamar Even-Zohar, mich auf das Werk von Pierre Bourdieu aufmerksam machte. Für mich war das damals eine Offenbarung. Die Habitustheorie, wie sie von Bourdieu in Le Sens pratique formuliert wurde, traf in mir – angesichts meines philosophischen Hintergrunds sowie im Kontext meiner Migrationserfahrung – einen Nerv. Gleichzeitig verlieh das Konzept des literarischen Feldes den Fragen, die ich mir hinsichtlich der Literatur stellte und die ich damals mit den Werkzeugen der russischen Formalisten, der Kultursemiotik sowie der von Even-Zohar im Gefolge der Formalisten geprägten Polysystemtheorie bearbeitete, ein konsistentes Fundament.

Von den beiden gegensätzlichen literaturtheoretischen Strömungen, der internalistischen und dem externalistischen, die damals den Fachbereich für „Allgemeine Literaturtheorie“ in Tel Aviv in zwei Lager teilten, hatte mich die zweite, wissenschaftlichere spontan angezogen. Vertreten wurde dieser Ansatz von meinem berühmten Lehrer Even-Zohar, der uns Aspiranten mit seiner ironischen Distanz und seinem grenzenlosen enzyklopädischen Wissen beeindruckte. Er beherrschte dreißig Sprachen und führte uns mit verblüffender Leichtigkeit durch die Weltgeschichte, von den isländischen Sagas bis ins Italien des Risorgimento, wobei er Ausdrücke in Russisch, Arabisch und Aramäisch einfließen ließ.

Als Französin wurde ich in das kollektive Unternehmen eingebunden, ausgewählte Auszüge aus Bourdieus Werk ins Hebräische zu übersetzen, das Even-Zohar damals in Israel einführte und mit seiner Polysystemtheorie in Verbindung brachte. Neben der Überarbeitung der Kapitel über das literarische Feld aus Questions de sociologie (ein Buch, für dessen Herausgabe ich verantwortlich war und das ich viel später für den Resling-Verlag mit einem Vorwort versah) übersetzte ich damals einen kurzen Auszug aus La Distinction, das dritte Kapitel von Le Sens pratique (1980) und „Le marché des biens symboliques“, einen langen Aufsatz von 70 Seiten (diese Übersetzung wird demnächst im Magnès-Verlag erscheinen, überarbeitet von Amotz Giladi). Diese Übersetzungen waren fortan Bestandteil des Curriculums für das Grundstudium der Literaturtheorie, bevor es zu der Spaltung des Fachbereichs kam, die 1995 – lange nach meinem Weggang – auf Initiative von Even-Zohar zur Gründung eines Instituts für Kulturforschung (The Unit of Culture Research) führen sollte, in dem Bourdieus Soziologie zusammen mit der von Even-Zohar entwickelten Polysystemtheorie eine der wichtigsten Referenzen sein sollte. Even-Zohar leitete dieses Institut bis 2007.

Nachdem ich zunächst eine Doktorarbeit in Logik in Erwägung gezogen hatte (ich hatte Wissenschafts- und Sprachphilosophie als Optionen gewählt, da ich wenig Interesse an Metaphysik hatte), entschied ich mich auf Anraten von Even-Zohar für eine empirische Forschungsarbeit und wählte ihn als Betreuer meiner Masterabschlussarbeit. Er verschaffte mir auch eine Halbtagsstelle in der Bibliothek des Porter-Instituts. Nebenbei leitete ich Übungen zum Narratologie-Kurs von Menachem Perry, dann zum Seminar über politische Ideengeschichte von Shlomo Sand, dessen Lehrveranstaltung über die Geschichte Frankreichs im zwanzigsten Jahrhundert ich im letzten Jahr meines Bachelorstudiums besuchte und der mich in die Geschichte der Intellektuellen eingeführt hatte. Diese historische Grundausbildung brachte mich zur Wahl des Themas meiner Masterarbeit über „La reconstruction de ,l’image de soi‘ de la France à la Libération“ (Die Rekonstruktion des Selbstbilds Frankreichs während der Befreiung) (1). Die Studie, deren theoretischer Rahmen auf dem Konzept des „Selbstbildes einer Kultur“ des russischen Semiotikers Iuri Lotman aufbaute, basierte auf einer Auswertung von fünf literarischen und politischen Wochenzeitungen von September 1944 bis 1946. Für meine Forschungsarbeit reiste ich in meine Heimatstadt Paris, wo ich die Nationalbibliothek und ihre Mikrofilme für mich entdeckte.

Während dieses Aufenthalts traf ich zum ersten Mal Pierre Bourdieu, der mir von Itamar Even-Zohar empfohlen worden und der mit ihm befreundet war (ich kann gar nicht beschreiben, wie bewegt ich war, als ich kürzlich in Bourdieus Archiv auf ihre erste Korrespondenz stieß – ich habe sie auch Itamar gezeigt, der nicht weniger bewegt war). Bourdieu empfing mich mit außerordentlicher Freundlichkeit, und als ich ihm von meiner Forschung erzählte, sagte er, zumindest in meinen Erinnerungen (1): „Man müsste das gesamte intellektuelle Feld während der Besatzungszeit rekonstruieren, mit diesem Deutschen, der alle manipuliert hat“. – Wie durch ein Wunder hörte ich stolz und erleichtert den Namen Otto Abetz über meine Lippen kommen. Stolz war ich, da ich erst seit wenigen Monaten in diese historische Materie eingetaucht war, die weit von meinen theoretischen und künstlerischen Ambitionen entfernt lag (ich hatte mein ursprüngliches Ziel aufgegeben, Pianistin zu werden, und verkehrte während meines Studiums in den literarischen Kreisen von Tel Aviv, übersetzte hier und da Texte und arbeitete an der Zeitschrift Levant mit).

Nachdem ich meine Abschlussarbeit fertiggestellt hatte, riet mir Itamar Even-Zohar, meine Doktorarbeit im Ausland zu schreiben, wie es in diesem kleinen Land an der Peripherie für die heute als ,exzellent‘ bezeichneten Studierenden üblich war (ich hatte meinen B.A. mit Magna cum laude und meinen M.A. mit Summa cum laude abgeschlossen). Während die meisten Doktorandinnen zu dieser Zeit in die USA gingen, wollte ich in mein Heimatland Frankreich zurückkehren, das ich 1978 verlassen hatte, um wieder in meine „Mutter“-Sprache einzutauchen (die weder die Sprache meiner Mutter noch die meines Vaters war und die mir allzu sehr abhanden gekommen war und deren Verlust mich schmerzte).

Die Wahl von Bourdieu als Betreuer meiner Doktorarbeit war alles andere als selbstverständlich. Sie brachte einen Wechsel der fachlichen Disziplin mit sich, der dadurch erschwert wurde, dass ich – bis auf das Werk Bourdieus – nichts über die Soziologie wusste. Im System der akademischen Hierarchie war sie eine dominierte Disziplin, sowohl in Israel als auch in Frankreich. Ich hatte Soziologie nur in der Sekundarstufe am Hougim-Gymnasium in Haifa belegt, wo sie zwar unterrichtet wurde, aber von uns Kindern aus den guten Familien unterhalb des Carmelberges eher mit Spott bedacht wurde. Ich stellte mir die Frage, ob ich wirklich in diesem Fach meine Dissertation schreiben wollte. Um ganz ehrlich zu sein, war der Hauptgrund für meine Entscheidung, dass ich an französischen Universitäten niemanden kannte außer Bourdieu! Da er mich bereits unterstützt und motiviert hatte, schrieb ich ein Exposé über die Neuzusammensetzung des intellektuellen Feldes während der französischen Befreiung und schickte es ihm. Er erklärte sich bereit, meine Dissertation an der École des hautes études en sciences sociales zu betreuen, wobei er mich zunächst in das D.E.A. (Diplôme d’études approfondies) einschrieb, um mir die disziplinäre Umstellung zu erleichtern. Auch wenn mein Uniabschluss prinzipiell gleichwertig mit dem D.E.A. war, hatte er mit dieser Entscheidung vollkommen Recht, denn dieses Jahr war in dieser Hinsicht sehr lehrreich und ermöglichte es mir auch, mich mit dem französischen Universitätssystem vertraut zu machen – dieses Jahr hatte mich zwar etwas abrupt wieder zur Studentin gemacht, während ich in Tel Aviv ja bereits im Masterstudium zum Lehrkörper gehört hatte, aber ich habe in dieser Zeit auch Kontakte geknüpft, von denen einige mich bis heute begleiten.

Nachdem ich also meine Masterarbeit fertiggestellt hatte, reiste ich im Sommer 1990 nach Paris und dachte, dass ich nach Abschluss meiner Promotion nach Tel Aviv zurückkehren würde. Ich bin jedoch nie wieder nach Israel zurückgekommen. Einige Monate nachdem ich im Dezember 1994 meine Doktorarbeit – der Jury gehörte auch Itamar Even-Zohar an – verteidigt hatte, bekam ich eine Anstellung im CNRS. Ich arbeitete für das von Pierre Bourdieu gegründete Centre de sociologie de l’éducation et de la culture. Ich war also Soziologin geworden. Diese Konversion war schrittweise erfolgt. Zunächst durch die Absolvierung des D.E.A., dann durch die Sozialisation unter den jungen angehenden Soziologen, durch Bourdieus Vorlesungen über den Staat am Collège de France und sein Seminar an der EHESS. Schließlich durch meine eigenen Forschungen und die Lehre.

Als Bildungssoziologe dachte Bourdieu viel über pädagogische Praktiken nach. Wie kann man einen professionellen Habitus herausbilden und dabei ein Gleichgewicht zwischen Forschungsroutinen (die notwendig sind, um frühere Errungenschaften zu kumulieren und Mittel zu sparen) und Erfindungsreichtum aufrechterhalten? Durch die intensive, praktische Anleitung zum (selbstständigen) Forschen.

„Die Forschung“, schreibt Bourdieu in Science de la science et réflexivité (2002), „ist eine gewohnheitsmäßige Praxis, die man am Gegenstand erlernt“. Er selbst bildete mehrere Generationen von Forschern und Forscherinnen in der Soziologie aus. Er arbeitete daran, ihnen Know-how, gute Reflexe und einen ,praktischen Sinn‘ zu vermitteln, und zwar durch individuelle Betreuung – die Lektüre der Arbeiten und die Gespräche, die er trotz seines engen Zeitplans jeder/jedem Einzelnen widmete – und durch kollektives Arbeiten, das verschiedene Formen annahm: Zunächst wurden die Promovierenden in das ,Forschungslabor‘ integriert, wo sie von etablierten Wissenschaftlern und Wissenschaftlerinnen des Teams betreut wurden, so in meinem Fall von Francine Muel-Dreyfus (ich stand dort auch im Dialog mit Victor Karady). Darüber hinaus gab es informelle Arbeitsgruppen, in denen sich der wissenschaftliche Nachwuchs für eine gewisse Zeit traf, manchmal in Anwesenheit von ein oder zwei älteren Forschenden.

Nicht zu vergessen: Während Bourdieus Vorlesungen am College de France der Ort waren, an dem die Theorie schrittweise erarbeitet wurde, indem Referenzwerke zum Thema diskutiert wurden, war sein Seminar das Forum, in dem die kollektive Arbeit stattfand, um die Forschungspraxis zu erlernen und sich den Modus Operandi anzueignen, der für den beruflichen Habitus eines Soziologen konstitutiv ist. Es war ein Ort der „Wissenschaft, die gemacht wird“ (Science de la science et réflexivité). Das Seminar nahm zu verschiedenen Zeiten unterschiedliche Formen an. Ich möchte nur das Seminar Anfang der 1990er Jahre erwähnen, an dem ich als D.E.A.-Studentin und später als Doktorandin unter seiner Leitung teilnahm und das zum Vorbild für das Doktorandenatelier wurde, das ich seit 2005 mit meinen eigenen Promovierenden leite.

Das Seminar war damals nicht offen zugänglich. Nur die Promovierenden, die bei Bourdieu eingeschrieben waren oder die er betreute, und ausländische Forschende nahmen daran teil. Wir waren rund 40 Personen. Der Ansatz Bourdieus im Seminar war stets induktiv. Die Promovierenden stellten ihre laufenden Forschungen vor, und Bourdieu kommentierte sie. Er forderte uns auf, statt einer gut durchdachten akademischen Präsentation, die Probleme kaum berücksichtigen würde, vor allem auch die Hindernisse, Schwierigkeiten, Fragen oder Ungewissheiten unserer Forschung zu betonen. Der Lernprozess erfolgte anhand der Konfrontation mit sehr unterschiedlichen Gegenständen (Führungskräfte, Feminismus, Musik, Beratungsberufe, literarisches Feld, Sport usw.), die jedoch ähnliche (oder umgekehrte) Fragen hinsichtlich der Arbeit an der Modellierung des Gegenstands und der methodologischen Schwierigkeiten aufwerfen konnten. So traten zwischen scheinbar unterschiedlichen Gegenständen immer wieder strukturelle Homologien auf. Ausgehend von sehr konkreten Untersuchungsgebieten ergaben sich allgemeine oder übergreifende Problemstellungen, wie etwa die Fragen nach den Entstehungsbedingungen eines Berufs oder eines Feldes, der Beziehung zwischen Positionen und Positionseinnahmen in verschiedenen Feldern oder der Beziehung zwischen Laufbahn und Feld.

Bourdieu definierte seine Rolle als die eines „Trainers“. Anstatt kasuistisch nach Konzepten oder Methoden zu fragen, sollten wir Promovierende an Objekten „arbeiten“. Konzepte waren Instrumente, um die Realität zu hinterfragen, die vorkonstruierten Objekte der sozialen Welt zu dekonstruieren, ihnen ihre Selbstverständlichkeit zu nehmen und sie gleichsam zu debanalisieren. Er rief zwar beständig zu epistemologischer Wachsamkeit auf, ermutigte uns aber auch, die Hindernisse zu beseitigen, die durch das akademische „Über-Ich“ gebildet wurden. Dazu gehörten z. B. die Vorstellung, dass man die Lesephase abgeschlossen haben muss, um mit der Arbeit im Feld zu beginnen, oder die unüberwindbaren methodologischen Anforderungen in Bezug auf Stichproben, Kodierung usw. All das nahm er zum Anlass, um an die Willkür jeder Methode zu erinnern. Er ermutigte uns auch, das durch die Vertrautheit mit dem Gegenstand angesammelte Wissen zu objektivieren und die mit dieser Vertrautheit verbundenen Intuitionen, die oft schwer zu formalisieren sind, durch eine ständige reflexive Forschungspraxis zum Ausdruck kommen zu lassen. Das betraf beispielsweise das implizite Wissen, das man bei Forschungsoperationen wie der Konstruktion von Kodierungskategorien für einen Fragebogen einsetzt.

Wie jeder gute Trainer kannte er die Psychologie seiner Teammitglieder gut. Eine seiner Ausbildungstechniken bestand darin, jeden in die entgegengesetzte Richtung seiner Neigungen zu drängen: Den Verfechtern quantitativer Arbeit schrieb er qualitative Studien vor und umgekehrt; Theoretikern schlug er sehr konkrete empirische Ziele vor, während Positivisten aufgefordert wurden, breitere Problemstellungen zu entwickeln. Er achtete auch auf Geschlechterunterschiede und die damit einhergehende Aufteilung der Forschungsarbeit, insbesondere zwischen Theorie und Empirie. Gleichzeitig half er den Frauen, das Gefühl der sozialen Illegitimität zu überwinden, das sich manchmal in einer defensiven Umkehrung dessen ausdrückte, was er als „theoretische Hypertrophie“ bezeichnete.

Parallel zu dieser eher praktischen als theoretischen Ausbildung (trotz der Vorlesungen über den Staat und vor allem der intensiven Lektüre, die ich parallel zu meiner Forschung betrieb) vervollständigte ich meine soziologische Berufspraxis, indem ich von 1993 bis 1995 an der Universität Evry Val d’Essonne die Klassiker der Soziologie –  Durkheim, Marx, Weber – und soziologische Methoden unterrichtete (zunächst als Dozentin, dann vorübergehend auch als Forscherin). Eine Erfahrung, die mich zu einer vollwertigen Soziologin machte und meinem fachlichen Richtungswechsel seinen endgültigen Sinn verlieh (ich hielt dort 1995, nachdem ich meine Doktorarbeit verteidigt hatte, auch eine Vorlesung über die Grundthemen der Soziologie, als Ersatz für eine Kollegin, die in Mutterschaftsurlaub ging). Ich unterrichtete gerne Narratologie und noch lieber politische Ideengeschichte (Rousseau, Marx und sogar Tocqueville haben mich nie mehr losgelassen), aber die Soziologie ergriff mich mit einer anderen Intensität und strukturierte mein Denken und meine Forschungspraxis. Ich war von der Lektüre von Marx’ Kapital fasziniert, aber die Entdeckung von Durkheim und Weber war für mich entscheidend, und prägte meine Denk- und Argumentationsweise umso mehr, als ich sie im Werk von Bourdieu wiederfand. Gerade die Lektüre dieser Texte stellte den vermeintlichen Gegensatz zwischen diesen beiden Denkern in Frage, der konstruiert worden war, um rein akademischen Interessen zu dienen, wie mich später die Methode lehren sollte, die Bourdieu in seinem programmatischen Artikel über die internationale Zirkulation von Ideen entwickelt hatte (aus einem Vortrag, den er 1989 anlässlich der Eröffnung des Frankreich-Zentrums der Universität Freiburg gehalten hatte, dessen Leiter Joseph Jurt mich ab dem Jahr 2000 einlud, dort gemeinsam mit ihm einen Kurs über das Thema Literatur und Gesellschaft zu unterrichten, was ich zehn Jahre lang tat (3)). Auch wenn es eine Herausforderung war, den Soziologiestudierenden im ersten Jahr in Evry diese Autoren und Autorinnen zu vermitteln, hatte ich einen Weg gefunden, sie anhand aktueller Beispiele auf den neuesten Stand zu bringen. Als ich 2005 an der EHESS mein Lektüreseminar zur Epistemologie der Geistes- und Sozialwissenschaften nach dem Vorbild eines Kurses zur Wissenschaftssoziologie einrichtete, der mich in meiner Ausbildung stark geprägt hatte, war es für mich ganz selbstverständlich, dass ich Durkheim und Weber (aber auch Simiand und Schütz) neben Bourdieu, Foucault, Lévi-Strauss und den Epistemologen (Bachelard, Quine, Hempel) in dieses Seminar aufnahm.

Meiner wissenschaftlichen Ausbildung gemäß neigte ich eher zur Theorie – Bourdieu sprach bei der Verteidigung meiner Doktorarbeit von einem „theoretischen Habitus“ –, aber das empirische Material, das ich zu meinem historischen Gegenstand gesammelt hatte, war nicht immer leicht nach dem von mir gewählten theoretischen Rahmen zu konstruieren. So war ich überwältigt von den singulären Details innerhalb Geschichte der Intellektuellen, und die brutalen historischen Veränderungen stellten meine strukturale Analyse auf die Probe. Mein Projekt befasste sich mit der Befreiung Frankreichs, aber schon bei unserem ersten Treffen während des D.E.A.-Studiums hatte Bourdieu darauf bestanden, dass ich auch die Besatzungszeit erforschen sollte, mit der nicht ganz unberechtigten Begründung, dass ich die Befreiung nie verstehen würde, wenn ich nicht die vier Jahre davor untersuchte, um dann wieder den Fokus auf das Kriegsende zu richten. Ich hatte keine Lust, mich in diese düstere Episode der französischen Geschichte zu vertiefen. Ich sollte schließlich zwölf Jahre meines Lebens darauf verwenden (das Jahr meines D.E.A.-Studiums, die drei Jahre meiner Dissertation, die fünf Jahre, in denen ich an meinem Buch La Guerre des écrivains, 1940-1953 arbeitete, und die Vorträge, die ich danach in Frankreich und im Ausland hielt, ohne die zusätzliche Arbeit zu den Prozessen der épuration (dt:: Säuberungsprozesse nach dem Krieg) mitzuzählen, die ich anschließend dank des endlich erhaltenen Zugangs zu den Archiven durchführte).

Bei diesem Treffen hatte mir Bourdieu noch einen Rat gegeben, der sich als entscheidend herausstellte, nämlich zur Académie française und der Académie Goncourt zu arbeiten. Ich hatte mir vorgenommen, die Rolle des Comité national des écrivains zu untersuchen, die wichtigste Instanz des literarischen Widerstands, die eine wichtige Rolle bei der Neuformierung des literarischen Feldes nach der Befreiung spielte. Diese Institution, von deren Existenz ich in Herbert Lottmanns Buch La Rive gauche (1981) erfahren hatte, faszinierte mich. Da meine Doktorarbeit die Funktionsweise des literarischen Feldes in Zeiten des Autonomieverlusts behandelte, konzentrierte ich mich auf eben jene Institutionen: die Académie française, die Académie Goncourt und den CNE (4). Neben dem institutionellen Ansatz, der sich auf Dokumente und Zeugenaussagen stützte, hatte mir eine prosopographische Analyse der Mitglieder dieser drei Einrichtungen geholfen, die Arbeit der Objektivierung und der Distanzierung von den noch immer brennenden Herausforderungen dieser Zeit vorzunehmen, die ich durch die Konsultation von Archivmaterial ergänzt habe (einige Monate vor Abschluss der Dissertation gelang es mir mithilfe eines Briefes von Bourdieu, Zugang zu den der Archiven des CNE zu erhalten; später durchforstete ich die Archive der Académie française und der Académie Goncourt). Bei der mündlichen Abschlussprüfung meines D.E.A.-Abschlusses hatte Bourdieu zu mir gesagt  (stets gemäß der Logik, den Stab in die andere Richtung zu drehen): „Schluss mit den Institutionen, sie sind nur Namenslisten!“ Dennoch habe ich diesen Ansatz nicht aufgegeben, da er sich als originell erwiesen hat und es mir ermöglichte, die internen heteronomen Logiken des literarischen Feldes und die Art und Weise, wie politische Herausforderungen innerhalb dieses Feldes gebrochen werden, sowie die institutionellen Spaltungen zu erfassen. Für das Buch fügte ich in Absprache mit meinem Verleger Olivier Bétourné, der mich zu einer Ausweitung auf das gesamte literarische Feld ermutigt hatte, La Nouvelle Revue française hinzu, die vor dem Krieg den symbolisch dominierenden Pol des Feldes verkörperte. Während der Besatzung hatte sie sich gespalten und war unter der Leitung von Drieu La Rochelle zu einem „schicken“ Schaufenster der deutsch-französischen Kollaboration geworden, weshalb sie nach der Befreiung nicht wieder erschien. Und ich führte eine Analyse verschiedener Korrespondenzen durch, die die strukturierenden Spaltungen des Feldes aufzeigte und meine These untermauerte, dass das literarische Feld politische Stellungnahmen vermittelte.

Bourdieu betrachtete die Dissertation als einen Zwischenschritt auf dem Weg hin zur Publikation eines Buches. Er hatte darauf bestanden, dass ich meine Doktorarbeit am Ende des dritten Studienjahres verteidigte. Ich erinnere mich, wie er im September 1993 auf seinem Krankenbett – er hatte damals ein Herzproblem – etwa hundert Seiten las und mich anrief: „Wir schreiten voran“, sagte er gleich zu Beginn – „Wohin schreiten wir denn?“, hörte ich mich antworten;  – „zur Verteidigung der Arbeit“. Seine Aufforderung ließ mich zunächst sprachlos zurück. Da ich kein Stipendium zur Verfügung hatte (ich war von der Doktorandenausbildung für Soziologie auf den vierten Platz gesetzt worden), unterrichtete ich damals sechs Stunden pro Woche in Evry und arbeitete bei Courrier International, wo ich die israelische Presse verfolgte und Artikel aus dem Hebräischen übersetzte (1992 sogar einen Roman: David Grossmans Das Lächeln des Lammes). Dank Bourdieus Ermutigung und Energie gelang es mir jedoch, die Dissertation innerhalb von zwei Monaten fertigzustellen, und ich verteidigte sie im Dezember 1994. Das war gut für mich, denn nun konnte ich mich um eine Stelle als Forschungsbeauftragte am CNRS in der Sektion 36 (Soziologie, Normen und Regeln) bewerben und wurde im Auswahlverfahren des Jahres 1995 auf den ersten Platz gesetzt. Bourdieu hatte für mich einen lobenden Empfehlungsbrief geschrieben. Er hatte im Jahr zuvor die Goldmedaille des CNRS erhalten und in seiner Dankesrede (an der ich auf seine Einladung hin teilnahm) um Stellen für die Leute gebeten, die mit ihm arbeiteten – es hatte seit vielen Jahren keine Stellen mehr am CNRS gegeben, was auf den gnadenlosen Wettbewerb zwischen den Schulen innerhalb der Soziologie zurückzuführen war, und auf die offene Feindseligkeit, die seine Soziologie unter seinen Rivalen hervorrief. Verstärkt wurde diese Feindseligkeit noch durch den Neid auf sein wachsendes internationales Renommee (aus diesem Grund nahm er nur sehr wenige französische Doktoranden und Doktorandinnen ein, da er zu Recht befürchtete, dass ihnen die beruflichen Möglichkeiten verbaut würden).

Bereits am Tag nach meiner Verteidigung hatte er mich wieder an die Arbeit geschickt und mich angewiesen, die Analyse verschiedener Korrespondenzen auf der Grundlage meiner prosopografischen Daten durchzuführen. Sie sollte in der nächsten Ausgabe von Actes de la recherche en sciences sociales zum Thema „Literatur und Politik“ (1996) veröffentlicht werden. Es war mein zweiter Artikel. Neben der Vorbereitung dieser Ausgabe war ich auch an der Zeitschrift Liber beteiligt. Ich arbeitete intensiv an meinem Buch La Guerre des écrivains, 1940-1953, für das ich einen Vertrag bei Fayard unterschrieben hatte, da Bourdieu zu diesem Zeitpunkt noch nicht die Reihe Liber bei Seuil gegründet hatte. Im Sommer 1998, als ich endlich fertig war, bat ich ihn, das Typoskript mit über 3 Millionen Zeichen gegenzulesen, was er im Juli vor seinem Urlaub bereitwillig tat, nicht ohne mir später am Telefon zu sagen: „Es ist, als ob man ein Pferd, das schon viele Kilometer gelaufen ist, bittet, noch weiter zu laufen“. Dann erklärte mir dieser außergewöhnliche Leser: „Es sind zwei Bücher in einem“. Ich protestierte, dass ich das nicht mehr ändern könne, da ich zu viel Arbeit in die Gliederung der Kapitel gesteckt hätte, und er insistierte nicht weiter. Während ich das Buch im August ein letztes Mal las, geriet ich in Panik und wollte alles neu zusammensetzen. Da klingelte mitten im ruhigsten und menschenleersten Monat in Frankreich das Telefon: Bourdieu war dran und wollte freudestrahlend wissen, „wie es weitergeht“. Aufgrund des ängstlichen Tonfalls meiner Stimme wollte er wissen, was denn los sei: „Es ist nicht nur ein Buch!“, rief ich aus. Er erkannte, in welcher Notlage ich mich befand, und forderte mich nachdrücklich auf, nichts mehr anzufassen. Im September übergab ich das Manuskript meinem Verleger Olivier Bétourné, der nach drei Wochen einen Termin mit mir vereinbarte und sagte: „Das ist sehr gut! Es ist nur ein bisschen dick, wir müssten 80 Seiten herausnehmen“ (was ich schließlich nicht tat). Als ich meine Exemplare unterzeichnete, erfuhr ich von Olivier, dass Bourdieu das Buch für seine erst kürzlich gegründete Reihe „zurückholen“ wollte. Er hatte mir nichts davon gesagt, weil er mir wahrscheinlich eine Double-Bind-Situation ersparen wollte.

Vor der Veröffentlichung des Buches hatte ich die Gelegenheit, einige Aspekte meiner Forschung auf zwei Tagungen in Deutschland vorzustellen, an denen Pierre Bourdieu teilnahm: auf dem Ersten Kongress des Frankoromanistenverbandes, „Faire signe – Zeichen setzen“, in der Sektion „Pour une histoire sociale de la littérature“, an der Universität Mainz, vom 23.-26. September 1998, und auf der Tagung „Empirical Investigation of Social Space“, die im Zentralarchiv für Empirische Sozialforschung an der Universität Köln vom 7.-9. Oktober 1998 stattfand. Auf der letzteren, zu der auch die Mathematiker Henri Rouannet und Brigitte Leroux eingeladen waren, stellten Frédéric Lebaron und ich vor, wie wir die Analyse unterschiedlicher Korrespondenzen genutzt hatten, um die Struktur eines Feldes (in seinem Fall des wirtschaftlichen, in meinem Fall des literarischen) zu erfassen. Dieser Ansatz war neu, da die Teilnehmenden ihn bisher vor allem zur Rekonstruktion eines sozialen Raums wie in La Distinction (1979) verwendet hatten. Frédéric und ich wurden von einem Methodologen (der tatsächlich eine konkurrierende Methode vorschlug) angegriffen, weil, wie er sagte, die Beiträge der ersten beiden Achsen zu gering seien (obwohl diese Prozentsätze mechanisch von der Anzahl der Variablen abhängen, die zahlreich waren). Dieser Angriff erregte Bourdieus Zorn, der wörtlich (auf Englisch) sagte: „Wissen Sie eigentlich, was Sie da tun, Sie töten diese jungen Forscher“. Sein Zorn war grenzenlos, er, der so wohlwollend und beschützend mit den jungen Leuten umging, wenn Ältere ihre Autorität missbrauchten, um die Jüngeren zu Fall zu bringen ...

Als ich im Jahr 2000 die Bronzemedaille des CNRS erhielt, größtenteils für mein Buch, war es ganz natürlich, dass ich Bourdieu darum bat, mein „Pate“ zu werden. Der Anfang seiner Rede über den Begriff der Patenschaft verdient es, ausführlich zitiert zu werden, weil er etwas über seine Auffassung von der Betreuung einer Dissertation aussagt:

Es ist erfreulich, dass eine Institution wie das CNRS eine so altehrwürdige Praxis wie die der Patenschaft (fr.: „parrainage“) wiederbelebt hat. Diese Tradition, die von Ethnologen und Historikern vielfach untersucht wurde, zielt darauf ab, Bande der GEISTIGEN PATENSCHAFT zu schaffen, künstliche und spöttische, aber verwandtschaftsähnliche Bande zwischen Personen, die nicht durch das verbunden sind, was man manchmal als ,Blutsbande‘, genealogische Verwandtschaftsbeziehungen, bezeichnet. Die Deutschen folgen dieser Logik, wenn sie von DOKTORVATER sprechen, um den Promotionsbetreuer zu bezeichnen. Diese Idee der geistigen Verwandtschaft eignet sich meiner Meinung nach gut, um diese sublimierten Beziehungen (hier sollte man Freud und insbesondere die Logik der Übertragung erwähnen) zu bezeichnen, die manchmal zwischen Lehrern und Schülern oder den Disziplinen entstehen. Es gibt auf beiden Seiten sehr tiefe, sehr persönliche GEFÜHLE DER ZUNEIGUNG, die normalerweise in der bürokratischen Sphäre nicht vorkommen, in diesem Fall aber sozial gefördert und kontrolliert werden. Ich denke, um ein Beispiel zu nennen, an die Beziehung, die eine Reihe von Philosophen meiner Generation zu Georges Canguilhem unterhielten.

Diese Beziehung ist nicht, wie man meinen könnte, einseitig, und der Betreuer oder die Betreuerin und der oder die Betreute sind abwechselnd oder gleichzeitig Beschützer und Beschützte. Wie man gut sehen kann, wenn der Pate oder die Patin auch Blutsverwandte sind, Großvater oder Großmutter zum Beispiel, wie es in der europäischen Tradition oft der Fall war, schützen der Pate oder die Patin das Patenkind, aber sie können auch ihrerseits von ihm beschützt werden.

Zu dieser Zeit wurde ich von der Groupe des études sartriennes gebeten, einen Vortrag über Sartre und Bourdieu zu halten. Zu diesem Zweck führte ich am 7. und 14. Juni 2000 zwei Interviews mit ihm durch. Er riet mir jedoch – auch in meinem eigenen Interesse – davon ab, über ihn zu arbeiten. Ich entgegnete ihm, dass dies für mich eine Möglichkeit sei, mit meinen Forschungen in der Gegenwart anzukommen, was ihn zu überzeugen schien. Das Kolloquium fand am 24. Juni statt, und mein Vortrag, der die Entstehung der Habitustheorie behandelte, befüderte die Differenzen und Ressentiments der Sartreianer gegenüber dem Soziologen. Dennoch verfasste ich auf Wunsch von Geneviève Idt einen Artikel, den ich Bourdieu vor der Veröffentlichung noch einmal durchlesen ließ. Er fand ihn sehr gut, aber es fehlte ihm, wie er mir sagte, die Antwort auf die von mir gestellte Frage: „Warum wird die Welt, wie sie ist, als selbstverständlich wahrgenommen?“ Wie immer war er ein unglaublicher Leser. Ich übernahm meine Schlussfolgerung aus seinen Kommentaren und der Artikel erschien 2001 in den RITM-Heften.

Bourdieu bereitete damals seine letzte Vorlesung am Collège de France über die Wissenschaft vor und schlug mir vor, Gespräche zwischen ihm und Jacques Bouveresse zu diesem Thema zu koordinieren. Zu meinem großen Bedauern hatte ich nie die Gelegenheit, dieses Projekt zu verwirklichen. Ich erzählte ihm von meinem Forschungsprojekt zum Konzept der Selbstlosigkeit (désintéressement), und er rief begeistert aus: „Ah, das ist wunderbar und, ich weiß nicht, wie ich es sagen soll, es steht Ihnen gut“. Er dachte, ich würde es im nächsten Sommer fertigstellen, aber ich arbeite noch immer daran, zwanzig Jahre später... Ich hatte auch in Zusammenarbeit mit der Universität Tel Aviv Forschungen zur Übersetzung begonnen. Er nahm an dem Studientag teil, den ich mit Johan Heilbron an der EHESS zu diesem Thema organisiert hatte und der im September 2002 zu einer Ausgabe von Actes de la recherche en sciences sociales führte. Am Vorabend rief er mich an: „Ich bin extra für diesen Tag aus dem Urlaub zurückgekommen und habe einen Hexenschuss. Bitte richten Sie mein Bedauern vor allem Zohar Shavit und Gideon Toury [den beiden Kollegen aus Tel Aviv, die wir zu diesem Tag eingeladen hatten] aus“.

Ich sah ihn danach nur noch einmal aus der Ferne bei einer Besprechung, wo er schlecht und krank aussah. Kurz darauf wurde er ins Krankenhaus eingeliefert. Sein Hexenschuss hatte sich als Krebserkrankung herausgestellt, an der er drei Monate später verstarb. Davon wusste ich nichts. Am Abend des 23. Januar erfuhr ich durch einen Anruf des Projektleiters die schreckliche Nachricht: „Bourdieu ist tot“. Ich war gerade mitten in einem Kolloquium an der Sorbonne. Man hatte mich gebeten, bei der Eröffnung einige Worte der Würdigung zu sprechen. Er starb im selben Jahr, in dem er in den Ruhestand ging, ohne dass wir uns bei ihm hätten bedanken können. Ich ergriff die Initiative und organisierte eine Veranstaltung zu seinen Ehren an unserem Zentrum als ein internationales Kolloquium, das im Januar an der Universität Paris VII zu einem Thema stattfand, das ihm sehr am Herzen lag, nämlich zum Verhältnis von Sozialwissenschaften und Reflexivität. Daraus gingen zwei Sammelbände hervor, die Olivier Bétourné 2004 bei Fayard veröffentlichte: Pierre Bourdieu, sociologue und Pour une histoire des sciences sociales.

Dieses Kolloquium führte die große, über die ganze Welt verstreute Forschungsfamilie wieder zusammen. Anlässlich der Forschungsprojekte ESSE (Pour une espace des sciences sociales européennes) und Interco-SSH (International Cooperation in the Social Sciences and the Humanities) wurde unser Forschungsnetzwerk nicht nur reaktiviert, sondern um neue Generationen von Forschenden erweitert. Wir sind zwar zu Waisen geworden, aber gleichzeitig Erben eines Forschungsprogramms, das wir im CSE sowie in der von Bourdieu 1975 gegründeten Zeitschrift Actes de la recherche en sciences sociales fortsetzen und an jüngere Generationen weitergeben, um so das von Bourdieu geforderte Ideal des ‚kollektiven Intellektuellen‘ zu realisieren. Das 2020 bei CNRS Editions erschienene Dictionnaire international Bourdieu ist eine der vielfältigen Verkörperungen dieses Ideals.

Anmerkungen

(1) Ich habe darüber einen langen Artikel in der Festschrift zu Ehren von Even-Zohar verfasst: Gisèle Sapiro, « Recadrer la mémoire collective : l’exemple de la France à la libération. Rakeffet Sheffy et Gideon Toury ed., Culture Contacts and the making of Culture. Papers in homage to Itamar Even-Zohar, Tel-Aviv, Tel Aviv University: Unit of Culture Research, 2011, p. 147-217. https://paperzz.com/doc/6770426/culture-contacts-and-the-making-of-cultures

(2) Alle Zitate dieser Gespräche sind aus dem Gedächtnis wiedergegeben und stützen sich nicht auf Notizen. Sie können aus diesem Grund von der Wahrheit abweichen. Ich setze sie in Anführungszeichen, um aufzuzeigen, dass ich sie genau so erinnere.

(3) Diese Aufgabe erlaubte es mir, meine ursprüngliche wissenschaftliche Richtung wieder aufzunehmen und ermöglichte es mir gleichzeitig eine drittes universitäres System kennenlernen. Und ich erinnere mich mit Freude an all die Jahre in Freiburg am Brisgrau sowie meinen Freund Joseph und die deutschen Studierenden, die, trotz ihrer Schüchternheit, aktiver mitarbeiteten als ihre französischen Kommilitoninnen.

(4) Der Titel der Doktorarbeitet lautet: Complicités et anathèmes en temps de crise : modes de survie du champ littéraire et de ses institutions, 1940-1953. Académie française, Académie Goncourt, Comité national des écrivains, Paris, EHESS, 1994.

Gisèle Sapiro ist Forschungsdirektorin am CNRS und Soziologieprofessorin an der EHESS. Bei Pierre Bourdieu hat sie mit einer Arbeit zum literarischen Feld unter der Occupation promoviert. Für das aus ihrer Dissertation hervorgegangene Buch hat sie 2000 die Bronzemedaille des CNRS bekommen. 2021 wurde ihr die Silbermedaille verliehen. 2020 hat sie das Dictionnaire international Bourdieu herausgegeben. Gisèle Sapiros Forschungsgebiete sind die Literatursoziologie und die Erforschung der internationalen Zirkulation von Ideen.

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